Tous les dimanches les plus ensoleillés il descendait les pentes de la Croix-Rousse avec un petit caddie à roulettes et quelques plus grandes toiles sous le bras. Sa démarche de Pierrot lunaire l’amenait ainsi jusqu’aux quais de Saône où il prenait place entre les artistes du grand Marché de la Création. Il est resté mon voisin durant des années. Nous échangions beaucoup sur la peinture, sur ses doutes quant à son travail, aux regards des gens sur son univers et déplorait qu’on lui dise après l’achat d’un tableau : “C’est pour mettre dans la chambre des enfants”. Il pensait alors que son travail n’était pas reconnu à sa juste valeur ou pas assez sérieux pour trôner dans un salon. Mais c’est parce qu’il était resté enfant Jean-Pierre. Et avoir su garder une âme d’enfant à l’âge de la sagesse, c’est tout de même magnifique.
Dans toute son œuvre il y a des personnages peints sur des collages et des textures, avec humour et tendresse pour servir des scènes inventives, parfois mystérieuses, parfois coquines, où règnent des souvenirs d’enfance, des jouets, des phrases et d’étranges formules mathématiques tirées de ses anciens cahiers d’élève. Sans oublier le petit oiseau, le chat, la petite voiture ou la bouteille estampillée “pinard” qu’on retrouve régulièrement au fil de ses toiles qu’il retravaillait sans cesse en trouvant dans ces couches superposées des trésors inattendus.
Jean-Pierre Henry vient de nous quitter. La poésie vient de perdre l’un de ses maîtres.
Je suis certain qu’il voyage avec légèreté dans le bleu du ciel, ce bleu particulier qu’il aimait tant, en équilibre sur une planche à roulettes, une voiture imaginaire, un cheval ou un bateau… En tout cas, si ce n’est pas du bleu c’est assurément dans les couleurs de la tendresse.