Texte écrit par mon amie Françoise Casile, pour le bulletin de l’Association des Amis d’Isabelle Adjani, en 1993. Comme le jeu des interviews ne me plait guère et qu’elle me connait si bien, elle écrivit ce texte sans mon aide. Un texte qui change des questions-réponses classiques, et que j’aime beaucoup.
“J’ai rendez-vous avec un peintre.
On m’a dit de lui que sa réserve est sans retenue. Interrogateur interrogé, je m’interroge sur la façon de l’aborder dans ce salon où nous devons nous retrouver. L’endroit ressuscite en moi la phrase de Baudelaire : “Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées où git tout un fouillis de robes surannées.”
Illuminée par ce vieux refrain, je décide de me glisser dans la peau “tissulaire” d’un canapé converti aux dimensions de mon imaginaire : entendre et raconter. Comme une tranche de vie silencieuse et secrètement animée, où je goûterais, distante et paradoxalement avenante, à tous les plaisirs. Où j’écouterais, muette, les confessions d’un enfant de l’Art.
Alors, si l’inconnu vous attire, glissez-vous avec moi dans mon délire d’une vision, sublimée par la transcription poétique de mes propos soliloques.
Ma métamorphose achevée, la porte s’ouvre devant un personnage tout en distinction. Au premier coup d’œil, on constate que la noirceur des vêtements contraste avec la douceur de ses traits.
Il hésite. Se croyant seul, il pénètre l’endroit et jette un regard spontané à un miroir posé là comme une conscience sur la mémoire du temps passé.
Il s’investit du lieu et s’assied avec délicatesse entre les bras tendus de l’espion.
Il relit l’invitation à l’entretien. Être interrogé l’inquiète. Il soupire et attend, loin de soupçonner la belle intrigue. Le temps s’écoule comme un goutte-à-goutte obsédant. Il faut tuer le temps.
Imaginer le dialogue pour lequel il s’est déplacé lui parait être une bonne idée.
Il a l’habitude des monologues.
“Bonjour, je m’appelle Christophe Renoux.” La phrase lui parait banale, il reprend.
“Bonjour! Christophe Renoux.” Le ton est donné. Clair, juste, sans manière.
“Pourquoi je peins? Je ne sais faire que ça. Mon enfance est baignée de couleurs. Père peintre, mère professeur de dessin. Voyage en Amnésie.
Peinture égale dialogue, langage. Je n’aime pas l’expliquer mais aujourd’hui je ferai un effort. Puisque c’est vous.
Ma main est guidée par un désir excessif de perfection et jusqu’à aujourd’hui j’ai privilégié la précision d’une création graphique…
Je sais. On m’a déjà reproché ça. Mais sous l’apparence d’imagerie sereine se cache l’évidence de ma recherche : l’Homme comme chef-d’œuvre de la Création. Le visage comme le reflet des émotions.”
Vision étrange que ce peintre en proie à un interlocuteur invisible qui parle tout haut avec une verve inconnue et délicieusement nouvelle.
D’une main sûre, il tâte les replis capitonnés du divan, laissant émerger toute la symbolique sensuelle de ce mobilier dont l’anecdote nous abuse.
Maintenant, étendu sur le lieu institutionnel du fantasme, il déboutonne son esprit, libérant jusqu’à ses émotions les plus intimes.
“Camus a écrit : “Ce qui m’intéresse, c’est qu’on vive et qu’on meurt de ce qu’on aime.” L’art c’est l’amour. Je suis l’amant de l’Amour universel. Je n’ai ni forme, ni âge, ni sexe. Je n’ai que des préférences…
Pour moi, les choses les plus simples sont souvent les plus belles…”
Rien de plus fortuit que ce visage d’ange qui nous dissimule les artifices d’un peintre en chambre.
Soudainement agacé par un retard si proche de l’oubli, il se redresse et ajustant la main au rythme de ses pensées, il feuillette comme un prétexte un dossier, où les reproductions de son travail sont les gardiennes de son œuvre.
Observateur absent, je reçois la découverte de chacune de ses peintures comme un instant magique. La sensation émotionnelle est sans cesse renouvelée, sans cesse provoquée.
Tendresse, harmonie, volupté d’un monde sans bruit et sans fureur. Maîtrise parfaite des formes et des teintes. Tout cela témoigne de son ivresse de beauté.
Dans l’équilibre du temps présent et du fuyant, il pose le document comme le repli d’un geste intime sans grande démonstration.
Le silence l’interpelle à nouveau.
“Mes influences ? Sans contexte les Grands Maîtres Italiens.
Pourquoi ? Pour leurs études anatomiques, leur passion de l’élégance, le rythme lent et la perfection de leurs traits
L’aquarelle, un choix personnel. Elle permet la précision des lignes, la douceur des couleurs.
Les nuances subtiles des impressionnistes ont troublé mes couleurs jusqu’à imprégner mes pinceaux.
Une définition de la peinture ? Drôle de question. C’est le mot définition qui me gêne. Enfin! Je pense que c’est la quête inlassable portant sur le mystère de la beauté…
Non, je n’ai pas de message à transmettre. Chacun doit choisir de trouver dans mes tableaux sa propre émotion.
Adjani ? oui, je la peins souvent. Pourquoi ?”
Il laisse échapper un sourire révélateur.
“Essayez d’attraper un papillon !
Ce que j’en pense ? No comment ! Il suffit de voir pour entendre.
Pour répondre à la question qui ne m’a pas été posée : oui, je suis de plus en plus attentif à de nouvelles techniques. J’éveille mon imagination. Huile, sculpture, expressionnisme doux. Mais alors très doux…
Ma conclusion ?
Le temps est un regard lourd posé sur une chrysalide.”
Soudain, il se lève. Il est temps. Temps de quoi ? Tant de temps passé seul.
Et alors, mon acuité à percevoir et inscrire les rimes de mes prosopopées, au sein de ce boudoir, s’évanouit avec son départ furtif.
Ni colère, ni regret. Il part comme il est venu.
Une chose m’a échappé : où cachait-il ses ailes ?
Il a laissé sur le miroir vainqueur sa signature, léchée comme une cicatrice.
Elle lui ressemble…”
Françoise Casile.
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