Isabelle Adjani a écrit dans Le Monde cette belle lettre à Patrice Chéreau, qui nous a quitté cette nuit.
“Réagir après son décès, rendre hommage à ce mort… N’est-ce pas trop de présences manifestes soudaines, n’est-ce pas le déranger, lui, Patrice Chéreau, qui disparaît brutalement, en semblant s’inspirer, à son insu, de la solitude qui traversait les spectacles, les compositeurs, les auteurs, les personnages et les interprètes élus par lui, avec la même obsession viscérale qui habitait son regard ? Son regard, un des plus pénétrants que j’aie jamais croisés, et parfois si dur ou douloureux, m’hypnotisait, m’effrayait lorsqu’il dirigeait, alors qu’il me troublait et m’émouvait dans la vie”.
“La première grande révélation de mon existence au théâtre fut sa mise en scène de La Dispute, de Marivaux, en 1973. Un moment de transport absolu. La dernière grande révélation de mon existence au théâtre fut Rêve d’automne, de Jon Fosse, en 2010, dans l’enceinte du Louvre. Un couple se déchire d’amour dans un cimetière parcouru par l’inconscient familial… J’ai attendu Patrice après la représentation, pour l’embrasser et lui dire mon bouleversement ; et j’ai lu sur son visage une intense crispation, quelque chose qui ressemblait pour moi à la peur du fantôme de la mort, ce même fantôme rôdeur dans la pièce de Fosse, qu’il avait entrepris de maîtriser par la sublimation. Je me souviens avoir dit aux merveilleux acteurs : “Mais comment allez vous tenir chaque soir sans mourir ? C’est ravageur.”
“Mon lien pour l’éternité avec Patrice Chéreau est La Reine Margot. Nous sommes tous en train de mourir et de nous en aller un peu chaque jour… Ses actrices le savent, le sentent… Valeria Bruni Tedeschi, pour moi, sa divine muse, Dominique Blanc incandescente dans la Phèdre que j’ai désertée, et Anouk Grinberg, irrésistible dans Le Temps et la Chambre, de Botho Strauss, où je ne suis pas entrée… Pardon, Patrice, je ne me suis pas rendue à ces deux rendez-vous que tu m’avais offerts car je te croyais éternel.”
C’est un grand vide que laisse ce prince du théâtre virulent et somptueux.
Homme en colère dont la rage fut d’une grace sublime et le regard esthète, juste et pénétrant.
Comme Isabelle A. je le croyais éternel et j’aurais tant voulu le rencontrer.
Merci de lui rendre hommage car ceux qui ne le connaissait pas iront peut être découvrir l’homme qu’il était, le travailleur acharné, le créateur de chefs d’oeuvre, l’humaniste discret.
J’étais fan absolue.
trop jeune, trop vite, trop triste … trop tard.
F.