brassens

Voici un extrait de Lettres à Toussenot (1946-1950)
Lettre écrite par Georges Brassens sur la connerie, un sujet infini qui ne vieillira jamais…
L’illustration ci-dessus est des Chats Pelés.


“Ceci dit, et pour être emmerdant, j’ajouterai que ton entêtement à engueuler les cuistres me fait peur. Je sais bien que la majorité des hommes “a tué les restes de son enfance”, “a trahi sa jeunesse”, etc… Quelques autres le savent. Mais la multitude, elle, ne peut pas le savoir. Alors pourquoi le dire ? Besoin de véhémence ? Soulagement physique ? Pourquoi l’écrire, plus précisément ?
Te voici maintenant en contradiction avec tes théories ! Oui, je sais aussi que Baudelaire considérait le droit de contredire comme une noble nécessité de l’homme bien né. De même, n’est-ce pas toi qui me l’as appris ? Valéry posait comme condition d’existence de l’Esprit la possibilité de contradiction. Oui, bien sûr ! Mais quand même, quelle fatigue inutile ! Tes insultes sont encore un hommage à leur connerie ! Chacune de tes polémiques (excellentes d’ailleurs, beaucoup trop excellentes) est un poème fracassant à la gloire de la bêtise humaine. Il est pour le moins savoureux de voir un type très intelligent se préoccuper à ce point de la sottise et de la médiocrité de la société de son temps. Pour un homme de ta valeur, il n’y a pas de connerie, il ne doit pas y en avoir ! Tu vois trop la vérité, tu désenchantes tout ce que tu touches; Tu es le destructeur des trésors, malheureux ! Plus je te connais, plus je sens qu’il y a du Nietzsche dans ta nature. Tu parles, tu parles, de façon éblouissante certes, mais tu parles et tu ne devrais que chanter. CHANTER, comprends-tu ?
Vois-tu, tu es trop violent avec les imbéciles, trop intégral. Pourquoi ne pratiquerais-tu pas la théorie de la non-violence ? Ils sont cons, c’est un fait, mais que veux-tu y faire ? Tu ne dis rien aux aveugles qui ne voient pas. Alors ! Crois-moi, laisse les sots à leur sottise. Crée des fêtes. Pense à tes amis.

Trouve la paix. Redécouvre les voluptés perdues. Deviens l’artisan de ton âme, le musicien de ton silence, l’écrivain de ton génie. Et excuse-moi de te souhaiter avec un autre comportement. Tu sais bien que mon amitié n’a rien à voir avec les conseils que je te donne. Tu es : cela suffit. Le reste est littérature.

Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.”

Georges
(Paris le 2 juillet 1948)

4 Commentaires

  1. stevie lili

    A qui l’écrit il ? A moi ? 😉
    Non à Brel peut être, avec qui j’ai grandit et dont je me sens si pleine …
    Superbe cette lettre qui répond à des questionnements quotidiens.
    Malgré la véracité de ses propos, je continues de douter que c’est la bonne marche à suivre … je fais des recherches sur le courage en ce moment, le courage n’est il pas aussi dans le “contredire “? Ne pas laisser le pouvoir à la sottise même si elle est maîtresse ? avancer et désirer que la société le phase, à force de petits combats ?

  2. Christophe Renoux

    Cette lettre est écrite à son grand ami Roger Toussenot, journaliste au journal Le Libertaire. Brassens a entretenu avec lui une correspondance abondante qu’on peut retrouver dans un livre.
    Parfois, face à la bêtise, on ne peut plus grand chose, et lorsque c’est vain, à quoi bon se battre pour des choses imbéciles ?

  3. stevie lili

    Ben zut, y a une partie de mon texte qui a disparu entre “société le (et) phase ”
    Bref tu auras saisi l’idée.
    Je crois que tout ça est un long et vaste débat, cette lettre en est la preuve ! 😉

  4. animaldan

    C’est le Brassens que je n’aime pas, ça (même si la tentation est là, parfois, de le rejoindre…): contemplatif, mou… fainéant. Je lui préfère alors… Renaud, son “dauphin” énervé. Quitte à craquer “Fatigué” des fois…

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *