Enfin une exposition en France des œuvres puissantes d’une des premières femmes peintres, Artemisia Gentileschi.
Elle ouvre ses portes aujourd’hui même, jusqu’au 15 juillet au musée Maillol à Paris.
Pour les informations pratiques, le site du musée ICI
Remarquablement douée et aujourd’hui considérée comme l’un des premiers peintres baroques, elle s’impose par son art à une époque où les femmes peintres ne sont pas acceptées. Elle est également la première femme à peindre l’Histoire et la religion à une époque où ces thèmes étaient considérés comme hors de portée d’un esprit féminin.
On attribue à son viol et au procès humiliant qui s’ensuivit certains traits de son œuvre, l’obscurité et la violence qui s’y déploient. En particulier dans le célèbre tableau montrant Judith décapitant froidement Holopherne.
Quand on compare sa toile avec celle du Caravage dont elle s’est inspirée, on remarque tout de suite la différence. La Judith du Caravage est fragile et effrayée, se tenant le plus loin possible d’Holopherne qu’elle ne tient que par les cheveux. On lit le dégoût sur son visage, comme si elle commettait cet acte malgré elle. Judith est passive et craintive, conformément à l’idée que l’on se faisait de la femme à cette époque. Chez Artemisia Gentileschi on peut voir une femme forte et déterminée, découpant la tête de l’homme comme un boucher découperait celle d’un animal. Elle participe activement en tenant le général de ses deux mains de manière assurée et forte. On devine la vengeance. Sanglant !
Petit résumé de son existence…
Née à Rome le 8 juillet 1593, Artemisia Gentileschi est la fille du peintre Orazio Gentileschi, représentant de tout premier plan du caravagisme romain. Artemisia fait son apprentissage artistique dans l’atelier paternel, aux côtés de ses frères et démontre par rapport à eux un talent bien plus élevé, apprenant le dessin, la manière de mélanger les couleurs et comment donner du brillant aux tableaux. Comme le style de son père, à cette époque, s’inspire du Caravage, avec lequel il entretient des rapports familiers, les débuts artistiques d’Artemisia se placent aussi dans le sillage du grand peintre.
La première œuvre attribuée à Artemisia est le magnifique “Suzanne et les vieillard” réalisé en 1610. Elle a 17 ans.
Elle reprend et modifie plusieurs fois les œuvres de son père, auxquelles elle rajoute une forte accentuation dramatique en y accentuant le clair-obscur à la manière du Caravage, contribuant ainsi à l’évolution de ce style d’une façon déterminante.
À 19 ans, alors que l’accès à l’enseignement des Beaux-Arts, exclusivement masculin, lui est interdit, son père lui donne un professeur privé, le peintre Agostino Tassi avec qui il travaille aux fresque des voûtes du Pavillon des Roses dans le Palais Pallavicini Rospigliosi de Rome. Un scandale marque alors sa vie de manière indélébile : Artemisia est violée par Tassi.
Celui-ci promet d’abord de l’épouser pour sauver sa réputation, mais il ne tient pas sa promesse et le père d’Artemisia porte l’affaire devant le tribunal papal. Pendant l’instruction qui dure sept mois, on découvre que Tassi voulait assassiner son épouse, qu’il avait commis un inceste avec sa belle-sœur et avait voulu voler des peintures à Orazio Gentileschi. Pendant le procès, Artemisia est soumise à un humiliant examen gynécologique pour vérifier la véracité de ses accusations. Elle résistera à la torture et maintiendra ses accusations. Tassi est condamné à un an de prison et à l’exil des Etats pontificaux.
Des documents et témoignages conservés frappent par la violence des faits relatés par Artemisia. Leur découverte a eu une grande influence sur l’analyse de la personnalité d’Artemisia Gentileschi.
“Il ferma la chambre à clef et après l’avoir fermée il me jeta sur le bord du lit en me frappant sur la poitrine avec une main, me mit un genou entre les cuisses pour que je ne puisse pas les serrer et me releva les vêtements, qu’il eut beaucoup de mal à m’enlever, me mit une main à la gorge et un mouchoir dans la bouche pour que je ne crie pas et il me lâcha les mains qu’il me tenait avant avec l’autre main, ayant d’abord mis les deux genoux entre mes jambes et appuyant son membre sur mon sexe il commença à pousser et le mit dedans, je lui griffai le visage et lui tirai les cheveux et avant qu’il le mette encore dedans je lui écrasai le membre en lui arrachant un morceau de chair.”
Artemisia aurait été torturée pour empêcher de peindre des toiles considérées comme osées à l’époque. Pour nuire à son talent, on aurait écorché et ficelé les doigts d’une de ses mains avec des fils de fer.
Un mois après le procès, Orazio arrange pour Artemisia un mariage avec Pietro Antonio Stiattesi, modeste peintre florentin, qui aide Artemisia, violentée, abusée et dénigrée, à retrouver un statut honorable.
Peu après, le couple s’installe à Florence. Ils auront quatre enfants, dont seule la fille, Prudenzia, vécut suffisamment pour suivre sa mère lors de son retour à Rome puis à Naples.
Elle meurt à Naples en 1653, à l’âge de 60 ans.
Il y a un livre passionnant qui permet de se plonger dans la vie d’Artemisia Gentileschi, écrit par Alexandra Lapierre, “Artemisia”. 1999.
Elle sera présente au musée Maillol pour dédicacer son livre le samedi 24, de 14 heures à 18 heures.
Un film a été réalisé par Agnès Merlet, avec des images d’une extrême beauté mais la réalité a été parfois quelque peu transformée : Après le (long) procès du violeur, celui-ci deviendra son amant ! “Artemisia”. 1997.
Peintre extraordinaire dans le rendu de lumière, des attitudes, des carnations et des tissus…Trop peu connue hélas ainsi que tant d’autres femmes peintres oubliées des livres d’histoire de l’art.
Concernant le film de Merlet, il est dispo sur Youtube. Si vous ne l’aviez pas vu, vous pourrez ainsi le découvrir. Il est en 9 parties et voici la première:
http://www.youtube.com/watch?v=8n1-vbmGXCY&feature=related
Plutôt qu’amant, Tassi y est présenté comme un séducteur manipulateur qui fait croire à Artemisia qu’il est amoureux d’elle alors qu’il est déjà marié et a commis d’autres crimes et délits. L’abus subi par Artemisia n’aura du coup pas été que sexuel mais aussi abus de confiance. D’où le fait qu’elle ne le défendra pas au procès mais entérinera le viol et en tirera un Judith et Holopherne très violent, évoquant la vengeance qu’elle aurait aimé faire subir à celui qui l’a violée et trahie. On sait que Tassi n’a quasiment pas fait de prison pour ce viol et ces abus car aidé en cela par des amis. Ce qui a dû encore plus révolter Artemisia.
J’ai vu l’exposition le dimanche de Pâques , j’étais à l’ouverture ,c’était superbe , une grande découverte !